La Ferme des Animaux (2) – l’Albatros

L’Albatros extrait des fleurs du Mal (1857)

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire (1821 – 1867)

L’adulte surdoué a d’abord été un enfant. Certains ont tant souffert de leur différence qu’ils se sont cachés à en devenir stupide : l’inhibition intellectuelle a été une façon de se protéger, mais à quel prix…

Je vous invite à parcourir la communication du Dr Gauvrit :  » Le complexe de l’Albatros – L’inhibition intellectuelle chez l’enfant intellectuellement précoce – Se défendre ou s’interdire ? »

Quelques extraits :

« Il peut paraître banal de comparer l’Albatros du poète, piteusement empêtré dans ses grandes ailes blanches dès qu’il abandonne les hauteurs pour se mettre au niveau du commun des hommes, et l’enfant dit « surdoué », tellement gêné (pour ne pas dire « handicapé ») par sa haute intelligence qu’il doive parfois inhiber ses potentialités (rogner ses ailes) pour tenter de s’adapter à un système scolaire qu’il trouve souvent peu stimulant pour lui et se faire socialement accepter ».

[Les enfants surdoués] « se trouvent réduits à choisir entre deux souffrances ? Ou bien faire pénitence et purger leur peine (au sens affectif du terme) à perpétuité, en renonçant à leurs potentialités et en développant un sentiment de frustration.  Ou bien tenter de s’évader, de fuir dans la solitude, la psychose ou le suicide, de se désolidariser de leur milieu, et de paver leur pseudo-liberté au prix de la marginalisation et de la culpabilité.  S’adapter ou être exclu ».

[…] « Dans un milieu scolaire inapte à satisfaire sa faim d’apprentissages et sa soif de connaissances, l’enfant va devenir distrait, rêveur (internalisation des conflits) ou au contraire turbulent (externalisation, agir faute de dire) pour se défendre contre l’ennui d’un environnement peu stimulant pour lui. »

[…]  « En renonçant à ses aptitudes intellectuelles, l’enfant essaie d’abord de se protéger contre l’incompréhension et la marginalisation.  Il soigne en quelque sorte sa « dyssynchronie sociale », mais tente peut-être aussi de « resynchroniser » artificiellement intelligence et affectivité.  Il se recrée un nouvel équilibre moteur, affectif et intellectuel par une série de contre-investissements (refoulement, répression) ne laissant aucune énergie disponible pour le fonctionnement intellectuel. »

[…] « Les enfants de quotient très élevé érigent en puissant système de défense l’intelligence et le savoir théorique.  C’est l’intellectualisation, froide et rassurante […].  Elle leur évite [..] de sombrer dans l’angoisse incontrôlée et la décompensation.  Lorsque ces défenses deviennent insuffisantes, l’enfant peut en arriver à renoncer à ses aptitudes intellectuelles. »

Alice Miller pose la question : « l’adaptation s’accompagne-t-elle toujours de dépression ? »
Alain Gauvrit répond : « l’inhibition intellectuelle ne s’ajoute pas à la dépression, elle est la dépression ».

11 thoughts on “La Ferme des Animaux (2) – l’Albatros

  1. Je me rappelle avoir été énormément marquée par ce poème quand je l’ai appris à l’école. Surtout la fin. Pour moi, ça voulait dire qu’il n’était pas adapté à ce milieu-là et je me suis complétement identifiée à ça. Ca avait résonné en moi.
    Je parcours avec beaucoup d’intérêt votre site, d’autant plus que j’ai été « choquée (positivement) » d’y voir sur la page d’accueil une citation de Pearl Buck qui, elle aussi, quand je l’avais lue, m’avait tellement touchée par sa justesse que je l’avais immédiatement notée.

  2. ah lala, magnifique !

    j’y pensais justement ces jours-ci, en cherchant à quoi je me sentais ressembler : et c’est à l’albatros que j’ai pensé !
    et au martinet qui est un peu pareil : de grandes ailes, un splendide voilier, qui fait tout en vol (manger, s’accoupler et même dormir ! y’a que pour pondre, heureusement, qu’il se pose, mais en hauteur ; au fait, comment fait l’albatros ?) mais s’il tombe par terre, comme l’albatros il est fichu, incapable de décoller à cause de ses grandes ailes et de ses pattes trop courtes

    garder les pieds sur terre sans s’empêtrer dans nos grandes ailes, sans les rogner non plus, et en trouvant moyen de décoller quand bon nous semble… y’a du taf’, les ami-e-s !

  3. C’est assez drole de voir que ce poeme a etait attribué aux « surdoués ».
    (okay il y a rien de drole, je m’explique) Ce que je trouve drole c’est que, en tant qu’eleve de seconde, j’ai vu ce poeme en classe.
    Et j’ai etait vraiment tres touchée par celui ci, deja a ca lecture mais encore plus a son interpretation (car en cours de francais, on interprete) faite par les autres et … par la prof de francais.
    J’ai etait profondement outré de voir que ce qu’ils voient dans ce poeme, c’est que Baudelaire considere les poetes comme des etres tellement superieur que « nous » (c’est la prof qui parle) simple mortels sommes incapable de les comprendre, car puisque nous ne sommes pas des poetes nous sommes des etres inferieurs, ce qui est marquer par le fait que se soit un oiseau qui represente le poete, celui ci, en volant se trouve etre superieur aux autres.
    J’ai eu un 0 au devoir sur ce cours car j’etait incapable de dire que « Baudelaire se croit superieur au autres hommes » et que je n’ai donc pas rendu ce devoir, ca m’a beaucoup blesser, et ce qui est drole en fait c’est que j’ai tout de suite assimilé ce poeme aux surdoués et que c’est pour cette raison que j’ai etait ettonée de voir qu’il revient souvent dans le cas de l’inhibition intellectuelle.

    Desolé mais ca m’a marquer et j’ai voulu vous en faire part.

    1. Les Fleurs du mal et Baudelaire ca été pour moi comme une explosion florale dans la tête sans me rendre compte réellement à l’époque (école secondaire) ce que je venais de découvrir et qui prend depuis que « je sais maintenant » une tout autre couleur… voilà pourquoi…. Depuis j’ai dévoré ce grand poète…

  4. C’est avec un certain amusement que j’ai relu ce poème que j’ai du faire apprendre à mon petit frère il y a moins d’une semaine…

    La dernière rime m’avait déjà particulièrement troublée… « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. ». J’ai eu le sentiment que plus le QI est haut, plus lourd le fardeau est à porter, plus l’exil, la solitude sont marqués dans l’esprit du zèbre.

    Inhiber leurs capacités, que beaucoup pourraient leur jalouser ou leur envier, juste pour mener une vie « normale », est apparemment l’apanage d’une majorité de zèbres.

    Avez vous déjà ressenti ce profond désespoir qui vous consume lorsque, alors que votre entourage vous pousse toujours plus vers l’avant, vous encourage, vous dit que vous allez y arriver, malgré tout ça, vous êtes certains de rater ce que vous être en train d’entreprendre, alors que paradoxalement, vous avez envie, à en crever, de réussir ? Mais cette peur panique d’être « attendu au tournant » paralyse énormément. C’est souvent ce que je ressens lorsque j’essaye de travailler. Comme si je n’étais pas certaine d’y parvenir… comme si j’étais nulle, incapable de mener un projet à terme. Alors que paradoxalement, une fois encore, je n’ai qu’une envie, c’est de le finir et de me prouver que je suis capable d’avancer.

    Résultat que nous connaissons tous, je procrastine ! De toute manière, ça ira toujours mieux demain…

    Comment faire pour sortir de cette spirale infernale, de voir le verre à moitié plein et non à moitié vide ?

  5. merci d’avoir ouvert cet espace – c’est rare !
    et merci de ton passage chez EgoOrNot (auquel je participe à l’occasion)

    Mel’
    Albatros – définitivement ( je crois) sauf si les ailes ça repousse 😉

    1. Merci de ce message 🙂
      Je suis persuadée que les ailes peuvent repousser. Mais, le souvenir de la souffrance quand on les a rognées, c’est le plus dur à combattre pour les faire repousser…

  6. Ce poème, chère Amie,
    je l’a-do-re !

    De le rencontrer,
    au détour de ton blog consulté,
    en cette nuit fort avancée,
    bien que d’ cett’ métaphore,
    point ne me sente très concerné,
    car bon an, mal an,
    envers et contre tout,
    toujours heureux j’ai été,
    de donc le rencontrer,
    alors qu’en train de déjà planer,
    par cett’ Passion selon Matthieu,
    de Bach le très fameux,
    tu m’as, chère Amie,
    carrément fait exulter !

    A Cécile,

    Jean-Louis, l’éternel givré, qui pourtant n’a jamais froid !

    P. S. Ceci dit, je suis persuadé que cette image est des plus pertinentes pour hélas bien des cas, et d’ailleurs en remontant à mes souvenirs d’enfance, je m’y retrouve quelque peu . . . et d’ailleurs, plus j’y pense . . .

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