Par Stéphanie Aubertin – Neuropsychologue
Dans les précédents billets, nous avons analysé en détail le test de QI utilisé en France et ses limites pour l’identification des personnes à Haut Potentiel.
Ce billet traite de manière plus générale les différentes variables qui peuvent influer sur les performances à tout type de tâche.
1. Le système cognitif, comment ça marche ?
1.1. Quelques définitions pour se mettre au diapason
Savoir : donnée, concept, méthode théorisés à partir du réel ; il existe en dehors du sujet.
Connaissance : transformation du savoir par un individu ; expérience personnelle et subjective du savoir en fonction de l’expérience de chacun.
Mémorisation : processus d’acquisition de savoirs.
Apprentissage : processus de remodelage d’un comportement afin d’utiliser un savoir dans des contextes variés.
Cognition : ce qui rend possible l’acquisition de savoirs, la transformation en connaissances et leur utilisation.
Fonctions cognitives : fonctions mentales supérieures permettant la cognition et l’interaction avec notre environnement.
1.2. Les étapes de l’interaction avec l’environnement
La notion d’interaction avec l’environnement est très importante car elle est à la base de tout processus d’adaptation.
Dans un premier temps, nous percevons des stimuli par nos sens. Ces stimuli peuvent être des objets, des personnes de l’environnement – via la perception visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile – ou des sensations provenant de notre propre corps – proprioception, pensées… Ces stimuli bénéficient ensuite d’un traitement de l’information complexe et qui est dévolu aux fonctions cognitives. Enfin, nous produisons une réponse élaborée. Cette réponse peut être motrice, verbale, émotionnelle…
Dans les tâches quotidiennes et a fortiori lorsque nous passons un test de QI, il faut bien comprendre que toutes ces étapes sont importantes, et que la performance n’est pas une copie exacte de la qualité des fonctions cognitives.
Il convient donc de prendre en compte les 3 étapes ci-dessus :
1/ l’entrée (la perception) ;
2/ le traitement de l’information et
3/ la sortie (la réponse élaborée).
Si l’une de ces 3 étapes ne fonctionne pas comme il faut, les performances vont s’en trouver ternies.
Ainsi, si un sujet perçoit mal l’environnement (concernant la perception visuelle, elle ne se réduit pas à l’acuité visuelle, mais aussi à l’oculomotricité…), il ne pourra pas bien le traiter. De même, si un sujet a des difficultés pour émettre une réponse (dys ou a-phasie, dyspraxie, handicap moteur…) alors qu’il a bien traité l’information, les performances vont aussi en pâtir. Cela semble aller de soi, et pourtant… Le handicap n’est pas toujours visible.
1.3. Le traitement de l’information : les fonctions cognitives
Essayons maintenant d’ouvrir cette boite noire que représentent les fonctions cognitives.
– Le système perceptif appartient bel et bien aux fonctions cognitives car il s’agit du décodage de ce qui est perçu par nos sens. Ainsi, il existe 4, voire 5 aires visuelles dans notre cerveau et plusieurs réseaux de neurones qui décodent une propriété bien spécifique de ce qui a été perçu (forme, couleur, mouvement…).
– Le système mnésique est divisé en plusieurs sous-parties selon le sens sollicité (mémoire visuelle, auditive, kinesthésique… – d’où l’importance des entrées sensorielles évoquées plus haut), la durée de rétention de l’information (mémoire à long terme, à court terme…), la catégorie de l’information (mémoire sémantique, épisodique, procédurale…). Une petite précision ici : la mémorisation est un processus en 3 étapes : encodage – consolidation – récupération. Un défaut de mémorisation peut être dû à un dysfonctionnement de l’une ou plusieurs de ces 3 étapes.
– Le système exécutif est un ensemble de fonctions cognitives qui permettent de nous adapter à des situations nouvelles et/ou complexes qui n’ont pas été automatisées. Pour beaucoup de personnes – en tous cas, les buveurs de café – faire le café le matin est un exercice que l’on fait sans y réfléchir, comme mis sur pilotage automatique, tout comme la conduite d’un véhicule, quand celle-ci a été bien automatisée.
Par contre, dès que l’on se retrouve face à une situation nouvelle, il nous faut
1/ analyser la situation ;
2/ élaborer une stratégie, planifier une action ;
3/ exécuter cette action selon les procédures mises en place à l’étape précédente et
4/ arrêter son action, la vérifier et la confronter avec la stratégie choisie.
Les fonctions exécutives concernent donc entre autres le raisonnement, la planification, le processus d’induction et de déduction de règles opératoires, la prise de décision, les processus inhibiteurs, la flexibilité mentale, la mise à jour des informations, le contrôle de la qualité et de l’efficacité de ses actes.
– Le système attentionnel est le chef d’orchestre de toutes les fonctions cognitives. Il intervient dans la disponibilité des ressources pour toutes les autres fonctions ainsi qu’un rôle de filtre (ne pas se faire happer par un bruit de l’environnement ou par ses propres pensées).
Le langage, le calcul, les capacités visuo-spatiales ne sont pas des fonctions cognitives en elles-mêmes mais elles se basent sur l’interaction de l’ensemble des fonctions cognitives décrites.
2. Les variables perturbatrices
En dehors de tout trouble cognitif, l’efficacité des fonctions cognitives peut être entravée par d’autres variables comme l’émotion, la santé, l’étayage environnemental, la motivation, la compréhension de la consigne, les stéréotypes…
2.1 L’émotion
L’émotion est une variable très importante. Pour expliquer son rôle dans le fonctionnement cognitif, il convient de parler de la théorie du cerveau triune élaborée par Paul McLean.
Cette théorie repose sur le fait que, dans l’évolution de l’espèce, le cerveau humain s’est construit en plusieurs étapes.
La structure la plus ancienne serait le cerveau reptilien. Elle est enfouie profondément dans notre cerveau. Le cerveau reptilien assure les fonctions vitales de l’organisme.
La structure s’étant ensuite développée serait le système limbique. Le système limbique est dévolu aux comportements instinctifs et à la mémoire dépendante d’un contexte, donc liée aux émotions. De manière générale, le système limbique est le réservoir de nos émotions. Enfin, la structure la plus récente, qui est située en périphérie, est le néocortex. Celui-ci est très développé chez l’homme et lui permet de raisonner, de communiquer, d’anticiper…
Source : http://lecerveau.mcgill.ca/
Ces 3 cerveaux ne sont pas indépendants et ils communiquent entre eux de manière non unilatérale. Cependant, une des principales voies est celle qui part du cerveau reptilien, qui passe par le système limbique pour arriver au néocortex (voie ascendante donc).
De cette manière, les informations provenant de l’environnement qui sont chargées d’émotions peuvent parasiter de manière non négligeable l’activité du néocortex, siège des fonctions mentales supérieures (fonctions cognitives). De même, certaines pensées nées du néocortex « redescendront » vers le système limbique pour se charger d’émotions avant de retourner dans le cortex et ainsi entraver les performances d’une tâche. C’est le cas notamment du stress, des pensées négatives lors d’une dépression, des idées phobiques, du manque d’estime de soi…
2.2 La forme physique
Le fonctionnement de ces 3 types de cerveau explique aussi pourquoi lorsqu’on n’est pas en pleine forme (maladie, fatigue, manque de sommeil ou même prise de médicaments), nos capacités intellectuelles sont amoindries. C’est ici le cerveau reptilien qui souffre et entrave l’activité du cortex.
Source : A. Adda et H. Catroux, in L’enfant doué, l’intelligence réconciliée.
2.3 La motivation
La motivation joue également un rôle principal. Si l’adulte qui vient passer un test est consentant puisque le test est généralement à sa demande, il n’en est pas systématiquement de même avec les enfants. Certains ont été « obligés » de passer le test ou le font « pour faire plaisir ». Dans ce cas, l’enfant ne donnera pas le meilleur de lui-même, et ses performances ne refléteront pas la réalité.
2.4 La compréhension de la consigne
La compréhension de la consigne est également un élément important. Dans le milieu scolaire, les enfants ont souvent une mauvaise note non pas parce qu’ils n’ont pas compris la leçon, mais parce qu’ils n’ont pas compris la consigne. De même, lors d’un test de QI, un sujet peut ne pas appréhender correctement ce qu’on lui demande, et il n’osera pas demander de reformuler. Croyez-moi, cela arrive souvent !
Il peut aussi ne pas prendre en compte l’intégralité de ce qu’implique la tâche : je pense ici à tous les subtests chronométrés où certains sujets n’ont pas intégré qu’il fallait aller vite, et prennent leur temps ; ils perdent ainsi des points.
2.5 Les variables sociales et éducatives
Nous avons parlé précédemment de l’influence du milieu socio-culturel et du poids des stéréotypes. L’étayage environnemental est une variable éducative qui est assez liée au milieu socio-culturel.
2.6 Les biais culturels
Un dernier point que je souhaite aborder ici est les biais méthodologiques dus au test lui-même, et principalement les biais culturels.
Grégoire (2009) met en avant le fait que l’évaluation peut être biaisée en fonction des caractéristiques culturelles d’une personne. L’auteur précise qu’ « une évaluation est considérée comme biaisée lorsqu’elle ne rend pas justice à la personne examinée et qu’elle donne une image faussée de ses caractéristiques et de ses potentialités du fait de son appartenance à un groupe culturel donné » (p 124). Le psychologue se doit alors de prendre en considération les différentes variables culturelles susceptibles d’interagir avec les performances (langue maternelle, religion, éducation…). Grégoire présente alors une typologie des biais qui peuvent entacher la validité des évaluations psychologiques :
Types de biais culturels | Source |
Conceptuel | – Recouvrement incomplet des définitions du concept dans les différentes cultures.
– Différences d’opportunités d’assimilation des contenus du test. – Echantillonnage insuffisant des comportements à mesurer. |
Méthodologique | – Différence de désirabilité sociale.
– Différence de style de réponse. – Différence de familiarité avec les stimuli. – Absence d’échantillon(s) comparable(s). – Différences dans les conditions matérielles d’administration. (ndlr : par exemple un bruit présent lors du test peut nuire aux performances) – Différences de familiarité avec les procédures de réponse. – Influence de la relation entre l’examinateur et le sujet testé. (ndlr : si « ça passe pas » avec le psy, le sujet sera stressé ou ne donnera pas le meilleur de lui-même) – Problèmes de communication entre l’examinateur et le sujet testé. |
Item | – Traduction incorrect de l’item.
– Formulation verbale inappropriée de l’item. – Item faisant appel à des caractéristiques personnelles non visées par le sujet. – Différences d’opportunité d’assimilation du contenu de l’item. |
Il y aurait d’autres variables interférentes, mais celles présentées ici sont à mon sens les principales.
Il faut garder en tête que ces variables sont plutôt ponctuelles et non liées intrinsèquement à la personne. Elles peuvent donc disparaître et laisser entrevoir un autre potentiel dans les tests.
Ainsi, et c’est là le point le plus important de mes billets, les performances ne sont qu’une photographie à un instant T, photographie plus ou moins fidèle de mes compétences, plus ou moins ressemblante, parfois plus, parfois moins. Si, sur cette photo, nous faisons une grimace, cela ne signifie pas que notre visage présente cette expression en permanence.
Dans le prochain billet je présenterai les 2 principaux modèles qui permettent au don de devenir un talent, soit au potentiel de se réaliser.
Sources
Grégoire, J. (2009). L’examen clinique de l’intelligence de l’enfant ; fondements et pratique du WISC-IV. Belgique : Ed. Mardaga.
Adda, A. & Catroux, H. (2003). L’enfant doué ; l’intelligence réconciliée. Paris : Ed. Odile Jacob.